Cette semaine, nous vous emmenons auprès des cheminées du Besòs pour notre dernier épisode de notre série [Skyline de Barcelone] qui met à l’honneur les éléments clés de l’horizon de la capitale catalane.
C’est sans doute le premier élément que l’on repère lorsqu’on arrive à Barcelone depuis l’avion ou l’autoroute. Les trois cheminées de béton blanc crème qui culminent à 200m de hauteur sont le vestige d’une centrale thermique qui a cessé ses activités en 2011. L’édifice est construit sur la commune de Sant Adrià de Besòs, une commune qui aujourd’hui est en train de planifier l’ère post-centrale.
Emblème de l’ère industrielle, pour le meilleur et pour le pire
La localisation de la centrale n’est pas anodine car une centrale thermique a besoin d’eau (et beaucoup) pour refroidir ses turbines alors quoi de mieux que le littoral barcelonais et particulièrement l’embouchure du fleuve Besòs pour s’installer ? D’ailleurs, depuis le milieu du XIXe siècle, de nombreuses industries ont fait le choix, elles aussi, de s’installer sur le littoral, pour le meilleur et pour le pire.
La première centrale thermique fait son apparition sur la commune de Sant Adrià de Besòs en 1912, elle fonctionne alors au charbon. Face à la croissance de la population dans l’aire métropolitaine de Barcelone, les besoins en énergie sont toujours plus importants et la demande pousse l’entreprise Fecsa Endesa à agrandir le site et le restructurer suivant les avancées dans le domaine de la production énergétique. C’est ainsi que nos trois cheminées vont s’élever vers le ciel au début des années 1970.
La centrale qui emploie alors des milliers de personnes permet de fournir de l’électricité à l’ensemble de l’aire métropolitaine de Barcelone, avec une capacité de production proche de celle d’une centrale nucléaire.
Oui mais voilà, ce succès a une contrepartie environnementale importante, voire effrayante. Comme pour l’ensemble des usines qui se sont installées sur le littoral au cours du XIXe et XXe siècle, la préoccupation pour l’environnement est secondaire : les déchets liés à l’activité industrielle sont rejetés sans contrôle dans la mer ou dans les airs.
À cette époque, Sant Adrià de Besòs concentrait tout ce que les municipalités de Barcelone et Badalone ne voulaient pas : une centrale thermique, un incinérateur de déchets et la station d’épuration la plus grande d’Europe. Ajoutez à cela que dans les années 1980, le Besòs était le fleuve le plus pollué d’Europe, ex aequo avec un autre fleuve d’Europe de l’est. Bref, Sant Adrià de Besòs s’était en quelque sorte convertie en une commune dépotoir.
Sa centrale thermique était particulièrement connue pour la pollution atmosphérique qu’elle générait : d’abord les rejets de la combustion du charbon. Puis, lorsque le combustible a été remplacé par du fioul, ce sont des dizaines de milliers de tonnes de dioxyde de souffre qui ont été rejetés dans l’atmosphère. La commune de Sant Adrià de Besòs a d’ailleurs reçu le doux label de « zone de contamination atmosphérique » en 1983.
La reconversion, un casse-tête coûteux
Aujourd’hui, la centrale thermique n’est plus en activité. Ses cheminées ont craché leur air vicié jusqu’en 2011, année où le site a officiellement fermé. Il ne reste que la structure même de la centrale, visible de très loin grâce à ses cheminées imposantes.
Au départ, l’idée était de détruire l’édifice mais une consultation auprès de la population a montré que les habitants étaient très attachés à leurs cheminées, véritable emblème de leur commune. Ces cheminées sont un repère dans le paysage barcelonais et sont surtout le témoin de l’histoire industrielle de la région : la marche vers la modernité, la généralisation de l’électricité mais aussi les luttes ouvrières et la vie de quartier qui est liée à la centrale. C’est un emblème que les adrianencs souhaitent conserver à tout prix.
Le prix justement est un détail épineux de la conservation des structures de la centrale. En effet, avec près de 50 ans d’existence, le revêtement des cheminées commence sérieusement à s’abîmer : le béton qui les enveloppe est touché par la carbonatation, une réaction chimique du béton avec le dioxyde de carbone qui fragilise le matériau. Le béton a donc tendance à se fissurer et/ou se détacher. La structure métallique est donc mise à nu et va commencer à s’oxyder, fragilisant l’ensemble de l’édifice.
Les travaux de traitement du béton et de consolidation de la structure s’élèvent à près de 9 millions d’euros, un coût que la commune ne peut assumer seule ! D’ailleurs, on a demandé à Fecsa Endesa de prendre en charge ces travaux, car en tant que propriétaire, l’entreprise est chargée de l’entretien. Cependant, l’entreprise considère que comme le bâtiment était voué à être détruit, elle n’avait pas à prendre en charge les travaux. Elle a d’ailleurs cédé l’édifice gratuitement à la commune, pour se débarrasser du problème ? Un vrai micmac juridico-administratif se joue donc autour de la préservation de l’édifice, classé depuis 2016 comme « Bien d’Intérêt Local ».
Il semblerait que dernièrement, les choses bougent autour du site de la centrale. En effet, le terrain qui l’entoure est une des dernières zones de cette ampleur à pouvoir être libérée dans la région. Autant dire que les promoteurs sont très très intéressés par ce nouveau bout de littoral à disposition : il paraîtrait même que le père de Michael Jackson aurait étudié la question pour l’implantation d’un projet immobilier !
Les autorités municipales et de la région ont dernièrement proposé un projet de transformation de la zone, en respectant un maximum l’équilibre entre logements, zones vertes et activités commerciales. Le projet prévoit notamment la construction de 1719 logements, le réaménagement de la plage, la création d’une voie verte littorale, des zones commerciales et des immeubles de bureaux. Les anciennes structures sous-marines de la centrale devraient se convertir en récifs artificiels, un processus qui a déjà commencé puisque de nombreuses espèces se sont déjà installées sur les anciennes conduites sous-marines.
Reste l’épineux problème des cheminées et de la salle des turbines : que va-t-on en faire ? Qui va se charger de les entretenir ? Des idées ont surgi comme la transformation en centre d’interprétation ou musée de l’énergie, la création d’un mirador sur le littoral barcelonais pour une exploitation touristique… Mais pour l’instant, les propositions tardent à se faire connaître et le projet urbanistique, lui, ne commencera pas à se mettre en place avant 2019. Affaire à suivre donc !